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Galerie de Portraits

Pablo NERUDA

Voici 40 ans et quelques mois, mourait, à Santiago du Chili, le plus grand poète latinoaméricain du XXième siècle et l'un des plus grands du monde. Est-il mort de maladie, de chagrin ou a-t-il été assassiné, sur son lit d'hôpital ? Nul ne le sait avec certitude. S'il a été assassiné, ce crime sera l'infâmie suprême qui culminera la liste abominable des crimes de la dictature de Pinochet. Mais … peut-on assassiner un tel poète, peut-on assassiner un mythe ? Non! et Pablo Neruda est présent et bien vivant! Il a été, il est la voix d'un peuple, le peuple du Chili, la voix de l'Amérique Latine, et au-delà, humblement, la voix de l'homme, l'homme invisible, l'homme simple … comme il le dit lui-même dans le discours qu'il prononça à Stockholm lorsqu'on lui remit le Prix Nobel, en 1971:

« J'ai préféré faire don avec humilité de mon service à une armée considérable qui parfois peut se tromper, mais qui marche sans repos et avance chaque jour en affrontant autant les anachroniques récalcitrants que les impatients prétentieux. Parce que je crois que mes devoirs de poète m'indiquaient non seulement la fraternité avec la rose et la symétrie, avec l'amour exalté et avec la nostalgie infinie, mais aussi avec les âpres tâches humaines que j'ai incorporé à ma poésie. »

 

L'oeuvre poétique de Neruda est immense et si diverse : des « 20 poèmes d'amour et une chanson désespérée », publiés alors qu'il n'a que 20 ans et qui sont parmi les poèmes les plus lus et les plus traduits au monde, à «Incitation au nixonicide et éloge de la révolution chilienne », son dernier recueil, publié en 1973, et dans la préface duquel il explique:

« Je n'ai pas d'autre issue: contre les ennemis de mon peuple, ma chanson est offensive et dure comme la pierre araucane. […] Et j'ai recours aux armes les plus anciennes de la poésie, au chant et au pamphlet dont se servirent classiques et romantiques pour détruire l'ennemi. Et maintenant, prenez garde, je tire ! »

en passant par le monumental « Chant Général », épopée de l'Amérique Latine, et tant d'autres oeuvres immortelles. (cf Pablo Neruda par Jean Marcenac, Poètes d'aujourd'hui, Seghers).

 

Mais l'oeuvre poétique ne doit pas faire oublier, comme certains ont tendance à le faire aujourd'hui, l'engagement du poète. Le grand tournant dans l'existence de Neruda, comme homme et comme poète, se produit en Espagne, où il a été nommé consul du Chili. Il prend fait et cause, activement, pour la République, s'insurge contre l'horreur franquiste. Sa voix puissante retentit dans « l'Espagne au cœur », hymne à la gloire du peuple en guerre, qui est publié d'abord sur les presses de l'armée républicaine de l'Est, et où il « explique certaines choses » et notamment :

Vous allez demander:

pourquoi votre poésie ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,

des grands volcans de votre pays natal?

Venez voir le sang dans les rues,

venez voir

le sang dans les rues,

venez voir le sang

dans les rues !

 

Son engagement se poursuit, après la défaite de la République Espagnole, par l'épopée du Winipeg, sur lequel il fait embarquer 2000 réfugiés espagnols – si mal traités par la France - pour «accomplir la mission la plus noble que j'ai jamais exercée dans ma vie: arracher les Espagnols à leurs prisons et leur offrir l'hospitalité de ma patrie».

A partir de 1945, il adhère au Parti Communiste du Chili, engagement qui lui vaudra la clandestinité, la fuite à travers la cordillère des Andes pour échapper à la haine du dictateur Gonzalez Videla, puis l'exil, mais qui le conduira finalement à la candidature à l'élection présidentielle pour son parti, candidature qu'il retire en 1970 pour permettre une candidature unique de l'Unité Populaire, celle de son ami, le socialiste Salvador Allende.

La révolution chilienne triomphe mais, 1000 jours plus tard, un coup d'Etat militaire dirigé par Augusto Pinochet et soutenu par la CIA renverse le gouvernement de l'Unité Populaire. Allende meurt à la Moneda. La maison de Neruda à Santiago est saccagée et ses livres sont brûlés. Pablo Neruda suit son ami Allende dans la mort le 23 septembre à Santiago. Lors de ses funérailles, malgré une présence de l'armée, des chants révolutionnaires jaillissent de la foule et donnent lieu à la première manifestation de protestation contre la terreur dictatoriale. Malgré les heures très sombres que connaîtra le Chili, pendant près de deux décennies, et le lourd héritage du pinochetisme qui pèse encore sur la« démocratie » chilienne d'aujourd'hui, le message d'optimisme que délivrait Pablo Neruda, dans les dernières lignes de son discours de Stockholm, reste toujours d'actualité :

Il y a aujourd'hui cent ans exactement, un pauvre et splendide poète, le plus atroce des désespérés, écrivit cette prophétie :

« A l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes ». Je crois dans cette prophétie de Rimbaud, le visionnaire. Je viens d'une obscure province, d'un pays séparé de tous les autres par l'abrupte géographie. Je fus le plus abandonné des poètes et ma poésie fut régionale, douloureuse et pluvieuse. Mais j'ai toujours eu confiance en l'homme. Je n'ai jamais perdu l'espérance. Pour cela, peut-être, suis-je arrivé jusqu'ici avec ma poésie, et aussi avec mon drapeau.

En conclusion, je dois dire aux hommes de bonne volonté, aux travailleurs, aux poètes, que tout l'avenir fut exprimé dans cette phrase de Rimbaud : seulement avec une ardente patience nous conquerrons la cité splendide qui donnera lumière, justice et dignité à tous les hommes.

Ainsi la poésie n'aura pas chanté en vain.

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