top of page

L’obsession du passé de l’Amérique latine

Richard Gott*

23/04/2015

Eduardo Galeano est décédé le 13 avril 2015 à Montevideo, à l’âge de 74 ans : avec lui, c’est l’un des grands écrivains latino-américains qui disparaît. Ses Å“uvres originales et idiosyncratiques ont contribué à illuminer l’histoire et la politique de tout le continent. Né dans un Uruguay délaissé, il appartient à cette génération du « boom Â» des années 1960, inspirée par la Révolution cubaine, qui a projeté la littérature de fiction latino-américaine sur la scène internationale.

 

Tout en étant auteur de romans, Galeano était un journaliste professionnel engagé à gauche, un poète et un artiste doublé d’un brillant rédacteur en chef. Ce qui a contribué à le rendre célèbre, c’est son invention pionnière d’une nouvelle forme d’essai politique fondé sur sa connaissance encyclopédique du passé de l’Amérique latine. Ses écrits peuvent se comparer à ceux, également novateurs, de Ryszard Kapuscinski et Sven Lindqvist.

 

L’une de ses premières Å“uvres, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine [1] (1971) bénéficia d’un « coup Â» de publicité inattendu en 2009 lorsque le président du Venezuela, Hugo Chavez, en glissa un exemplaire entre les mains du président Obama à l’occasion du Ve Sommet des Amériques à Port-of-Spain (Trinité-et-Tobago, 17 avril 2009). Obama affirma l’avoir lu, ce qui n’était pas très surprenant étant donné qu’une version anglaise, soustitrée Five Centuries of the Pillage of a Continent (« Cinq siècles de pillage d’un continent Â») était disponible dans les bibliothèques des universités américaines depuis 1973. ......

* Richard Gott est un journaliste et historien britannique, qui a principalement écrit sur l'Amérique latine. Ancien correspondant du journal The Guardian, il est actuellement chercheur honoraire à l'Institute pour l'étude des Amériques de l'Université de Londres

Eduardo GALEANO

Il parlait pour ceux qu’on torturait

Tariq Ali

23/04/2015

Mon vieil ami et camarade Eduardo Galeano souffrait d’un cancer depuis quelques temps, mais le traitement faisant parfois effet, il se rétablissait et se remettait à écrire. Plus que tout autre journaliste et essayiste, il parlait pour les opprimés de tout un continent. Ce que Simon Bolivar avait cherché à accomplir par l’épée, Galeano le faisait par la plume. Il cherchait à unir le continent contre l’impérialisme américain : il parlait au nom des voix souterraines du continent lorsque les dictatures militaires soutenues par les Etats-Unis eurent anéanti les démocraties dans la plupart des pays d’Amérique du Sud. Il parlait pour ceux qu’on torturait. Il parlait pour les indigènes écrasés par la double oppression de l’Empire et des oligarchies créoles

Galeano, Garcia Linera et la pensée critique latino-américaine

Emir Sader*

20/04/2015

Les deux Assemblées Générales du CLACSO (Conseil LatinoAméricain des Sciences Sociales) quand je le dirigeais, furent clôturées respectivement par Alvaro Garcia Linera (à Cochabamba, en 2009) et par Eduardo Galeano (à Mexico, en 2012). Ce furent deux façons éloquentes de faire parvenir aux spécialistes des sciences sociales du continent les formes les plus achevées de la pensée critique latino-américaine contemporaine.

L'un, Alvaro Garcia Linera, professeur d'université, militant politique, emprisonné et torturé à cause de cela, grand intellectuel révolutionnaire, qui articule un haut niveau d'élaboration théorique à la pratique politique. L'autre, Eduardo Galeano, dont nous connaissons la capacité incomparable de capter la réalité dans ses expressions les plus quotidiennes, à côté des grands et cruels phénomènes globaux, à partir de sa vision humaniste et solidaire. Le meilleur écrivain latinoaméricain contemporain.

Les deux correspondent, à des titres divers, à ce que l'on appelle l'intelligentsia – intellectuels critiques, qui abordent les thèmes les plus importants en langage accessible, en défendant les plus opprimés, les plus humiliés, les plus offensés. Une catégorie – l'intellectuel du domaine public – qui est en voie d'extinction.

*Emir Sader, sociologue et politologue brésilien, coordinateur du Laboratoire des Politiques Publiques de l'Université de l'Etat de Rio de Janeiro

bottom of page