Etats-Unis
Depuis plus d'un siècle, la politique des Etats-Unis vis à vis des pays de l'Amérique Latine a joué un rôle majeur dans la destinée des peuples et des gouvernements de ces pays. La liste de leurs ingérences et de leurs interventions dans le passé (cf. Eduardo Galeano : « Les Veines Ouvertes de l'Amérique Latine ») et aujourd'hui encore (on lira ici-même, page Honduras +, les récentes révélations du président du Honduras Manuel Zelaya, renversé par un coup d'Etat en Juin 2009) est interminable. Les gouvernements étasuniens ont toujours justifié leurs interventions, même les plus brutales, au nom de la défense de « valeurs universelles » : celles des « Droits de l'Homme » et de la « Démocratie ». Nous avons traduit deux articles, publiés récemment, l'un analysant le rapport d'une commission du Sénat des Etats-Unis sur la pratique courante de la torture par la CIA, l'autre étudiant le fonctionnement du système politique américain – qualifié de « ploutocratie » - à travers le financement de la campagne électorale des élections du 4 Novembre dernier. Ces articles, signés par deux éminents universitaires, l'un argentin, le Dr Atilio Boron, l'autre américain, le Dr Jeffrey Sachs, ne sont pas des pamphlets isolés, mais les articles choisis nous ont paru les mieux documentés. Leur lecture est édifiante. Après celle-ci une seule question devrait se poser : comment peut-on encore leur accorder la moindre autorité morale pour parler et encore moins agir au nom de ces valeurs universelles qu'ils bafouent tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de leur pays ?
L'empire et la légitimation de la torture
Dr Atilio Boron *
12/12/2014
Le Rapport de la Commission du Renseignement du Sénat des Etats-Unis divulgué ces derniers jours décrit avec minutie les différentes « techniques d'interrogatoire » utilisées par la CIA pour extraire des informations importantes dans la lutte contre le terrorisme. Ce qui a été rendu public n'est qu'un résumé, d'environ 500 pages, d'une étude qui en contient environ 6700 et dont une première lecture rapide engendre une sensation d'horreur, d'indignation et de répugnance comme en a rarement éprouvé celui qui écrit ces lignes [1]. Les adjectifs pour qualifier cet inventaire lugubre d'horreurs et d'atrocités ne parviennent pas à transmettre l'inhumanité pathologique de ce que l'on y raconte, comparable seulement aux violations des droits de l'homme perpétrées en Argentine par la dictature civico-militaire, ou à celles qui furent perpétrées dans le cadre du Plan Condor contre des milliers de latinoaméricains pendant les années de plomb.
Le rapport peut être lu de multiples façons, qui animeront certainement un débat significatif. Pour commencer disons que sa seule publication cause un mal irréparable à la prétention étasunienne de s'ériger en champion des droits de l'homme, une agence gouvernementale, en lien direct avec la Présidence, ayant perpétré ces atrocités au cours de plusieurs années avec l'aval – dans le cas de George W. Bush – ou la froide indifférence de son successeur à la Maison Blanche.
A l'évidence, si déjà auparavant les Etats-Unis manquaient de l'autorité morale pour juger des pays tiers pour des violations présumées des droits de l'homme, après la publication de ce rapport ce que devrait faire Barack Obama c'est demander pardon à la communauté internationale (chose que bien sûr il ne fera pas, ou qu'on ne le laissera pas faire, comme l'a démontré le scandale des espionnages), interrompre définitivement la publication des rapports annuels sur la situation des droits de l'homme et du combat contre le terrorisme où l'on qualifie le comportement de tous les pays du monde (sauf les Etats-Unis, juge infaillible qui ne peut être jugé) et vérifier que les pratiques caractérisées comme tortures par le rapport sénatorial non seulement ne seront plus utilisées par la CIA ou les forces régulières du Pentagone mais non plus par le nombre croissant de mercenaires enrôlés pour défendre les intérêts de l'empire, ce qui n'a pas non plus beaucoup de probabilités de se produire.
[1] Le rapport peut être consulté à l'adresse suivante:
https://es.scribd.com/doc/249652086/Senate-Torture-Report
* Directeur du Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini (PLED), Buenos Aires, Argentina. Prix Libertador al Pensamiento Crítico 2013.
Comprendre et Vaincre
la Ploutocratie Américaine
Dr Jeffrey Sachs *
11/11/2014
Ils sont à plaindre les Américains qui imaginent qu'ils viennent juste d'élire un nouveau Congrès. D'un point de vue formel, ils l'ont fait bien sûr. Le public vote vraiment. Mais d'un point de vue réel, il n'est pas vrai qu'ils ont choisi leur gouvernement.
Ce fut l'élection des milliardaires, des milliardaires des deux partis. Et bien que les milliardaires des Partis Républicain ou Démocrate aient quelques différences, ce qui les unit est beaucoup plus fort que ce qui les divise, à quelques exceptions près. En réalité, beaucoup des plus riches donateurs individuels ou de sociétés ont donné aux deux partis. La polarisation gauche-droite si débattue n'est pas du tout une polarisation. Le système politique est de fait relativement uni et travaille très efficacement pour les plus riches des riches.
Il n'y a jamais eu de meilleure époque pour le 1% d'en haut (top 1%). Le marché monte en flèche, les profits sont élevés, les taux d'intérêt sont proches de zéro, et les impôts sont bas. Les forces susceptibles de contrebalancer – les syndicats, les autorités anti-trust et les régulateurs financiers – ont été battues à plate couture.
Pensez-y de cette façon. Si le gouvernement passait dans les mains (turn over) des directions de Exxon, Goldman Sachs, Bechtel et la Corporation de la Santé de l'Amérique, ils auraient bien peu de choses à changer aux politiques actuelles, qui satisfont déjà les quatre mega-lobbies : Big Oil [pétrole], Wall Street, l'industrie de la défense et les géants de la santé. Le virage électoral de cette semaine vers les Républicains donnera probablement à ces lobbies les quelques petits bénéfices supplémentaires qu'ils recherchent : des impôts individuels et sur les sociétés plus bas, plus de pouvoir du patronat vis-à-vis des travailleurs, et des régulations environnementales et financières encore plus faibles.
Les plus riches des riches paient pour le système politique – mettant des milliards de dollars en campagnes électorales et en financement des lobbies – et recueillent des milliers de milliards de dollars de bénéfices en retour. Ce sont des bénéfices pour le secteur privé – sauvetages financiers, prêts bon marché, dérogations fiscales, contrats fédéraux lucratifs, et l'oeil fermé sur les dégâts environnementaux – pas pour la société dans son ensemble. Les riches moissonnent leurs revenus et leur richesse hors-normes en grande partie en imposant des charges au reste de la société.
* Directeur de l'Institut de la Terre
Columbia University, New York, USA