LES INVESTISSEURS AU-DESSUS DES ETATS
L’ISDS : INTÉRÊTS PRIVÉS
CONTRE INTÉRÊT GÉNÉRAL
Le chapitre qui a suscité le plus de polémiques est la clause d’arbitrage dite « ISDS» (Investor-to-State Dispute Settlement ou clause d’arbitrage entre investisseur et État). Il a été tant critiqué que la Commission européenne a lancé une consultation publique à son sujet. L’ISDS permet à un investisseur privé de contester devant une cour d’arbitrage une mesure publique d’intérêt général si elle affecte ses profits attendus et ce, sans passer au préalable par les tribunaux nationaux compétents. En principe, ce type de litige est confié à un panel de trois juristes chargés de l’arbitrer – l’investisseur choisit un arbitre, l’État un second et le troisième est choisi de concert entre les deux parties, ou par un organe tiers s’ils ne peuvent se mettre d’accord.
Par le passé, les initiateurs de ce type de clause la justifiaient par la crainte d’un traitement discriminatoire des investisseurs étrangers dans des pays aux juridictions imprévisibles, comme dans le cas du premier traité du genre entre l’Allemagne et le Pakistan en 1959. Mais comment justifier aujourd’hui son existence dans un traité entre pays démocratiques et stables, aux systèmes judiciaires performants ? Comment par ailleurs justifier la perpétuation de ce dispositif, avec quelque pays que ce soit, quand on connaît les abus qu’il a permis ? De telles clauses dans des accords existants ont par exemple déjà permis à des firmes transnationales de contester une augmentation du salaire minimum en Égypte, la sortie de nucléaire ou la protection des rivières en Allemagne ou encore des avertissements de santé sur les paquets de cigarettes en Australie et en Uruguay. Ces arbitrages-là sont encore en cours. Mais plus de 300 ont déjà été conclus, ils ont permis par exemple de faire payer 29 millions d’euros à la Slovaquie pour avoir limité les effets de la privatisation de l’assurance santé publique, 13 millions de dollars au Canada pour avoir interdit un additif de carburant pour protéger la santé de ses citoyens, 15 millions au Mexique pour ne pas avoir accordé de concession à un projet minier menaçant de polluer les rivières et les sols, ou encore de condamner l’État argentin pour avoir contrôlé le prix de l’eau dans un contexte de grave crise économique et sociale71, menant à la condamnation en 2015 à plus de 400 millions de dollars de dommages et intérêts à la firme Suez par l’État argentin.
Tendances en faveur des firmes dans le Groupe Banque Mondiale Robin Broad
22 Octobre 2015
Cet article se focalise sur la principale instance de règlement des différends légaux que les entreprises présentent contre les Etats : le Centre International de Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI ou ICSID en anglais) du Groupe Banque Mondiale. A partir de l'analyse générale du CIRDI et de l'étude concrète d'un cas présenté par une entreprise minière internationale contre le Salvador, ce rapport rend compte des actions extrêmement tendancieuses de l'organisme en faveur des entreprises et des intérêts commerciaux, qui portent préjudices aux processus démocratiques.
Fin 2014, la revue The Economist publia le texte suivant :
Si vous voulez convaincre le public que les accords de libre-échange sont le moyen de permettre aux compagnies multinationales de s'enrichir aux dépens des gens ordinaires, voici ce que vous devriez faire : donner aux firmes étrangères un droit spécial de recourir à un tribunal secret d'avocats d'affaires hautement rémunérés pour [obtenir] compensation chaque fois qu'un gouvernement fait passer une loi pour, disons, décourager le tabagisme, protéger l'environnement ou prévenir une catastrophe nucléaire. Cependant, c'est précisément ce que des milliers de traité de commerce et d'investissement ont fait durant le dernier demi-siècle, par l'intermédiaire d'une procédure connue sous le nom de «règlement des différends investisseur-état» (investor-state dispute settlement) ou ISDS.
(« The arbitration game » - The Economist 11 Octobre 2014
www.economist.com/node/21623756/ )