Trois Articles sur la crise brésilienne
« Au Brésil, les classes dominantes ont abandonné le pacte d’alliance passé avec Lula et Dilma"
Entretien avec Joao Pedro Stedile, fondateur et ancien président du Mouvement des Sans Terre (MST)
Brasil de Fato (BdF) : Quel regard portez-vous sur la scène politique brésilienne actuelle ?
João Pedro Stedile (JPS) : Le Brésil se trouve dans une période historique très difficile et complexe. Les débats que nous avons menés au sein de nos assemblées de mouvements populaires nous ont conduit à observer que nous traversions trois crises majeures. La première est une crise économique. L’économie du pays est paralysée, elle connaît un manque de croissance dans le secteur de l’industrie, des signes de chômage et une baisse des revenus des travailleurs.
La seconde est une crise sociale. Nous constatons une aggravation des problèmes, surtout dans les grandes villes : manque de logements, de transports publics, augmentation de la violence contre la jeunesse dans les périphéries, accès fermé à l’université pour des millions de jeunes. Ainsi, les huit millions d’étudiants inscrits à l’ENEM (examen national de l’enseignement secondaire, pré-requis obligatoire pour rentrer dans les universités publiques brésiliennes) se sont retrouvés cette année en compétition pour obtenir l’une des 1,6 millions de places disponibles dans l’enseignement supérieur. Ceux qui ne vont pas à l’université, où vont-ils ?
La troisième est une grave crise politique et institutionnelle. La population ne reconnaît ni la légitimité, ni le leadership des responsables politiques élus. Cela est dû au système électoral qui permet aux entreprises de financer leurs candidats. Pour bien comprendre, il faut savoir que la dizaine d’entreprises les plus importantes du pays ont élu 70% du parlement. En d’autres termes, la démocratie représentative a été séquestrée par le capital. Ceci a entraîné ainsi une hypocrisie des élus et une distorsion politique insurmontable.
La crise institutionnelle du Brésil
par Pedro Brieger, directeur de l'agence Nodal, 21 Août 2015
L'amplitude de la crise que traverse le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff ne se manifeste pas dans les mobilisations contre elle bien que celles-ci soient multiples et massives. Beaucoup de gouvernements doivent tolérer que des millions de personnes sortent dans les rues pour protester contre les mesures que ceux-ci prennent car cela fait partie du jeu politique dans une démocratie. Le problème dans ce cas c'est que le principal parti d'opposition, le parti de la socialdémocratie brésilienne (PSDB), qui a perdu les deux dernières élections présidentielles, mette en route la demande de démission de la présidente dans une tentative claire de déstabiliser le gouvernement et de provoquer sa chute.
La théorie économique et les politiques économiques
par Theotonio Dos Santos
L'éminent économiste brésilien, Theotonio Dos Santos, analyse, incrédule, le changement de la politique économique de la présidence Dilma, sous l'influence de la Banque Centrale du Brésil
De nombreux gouvernements élus sont soumis à leurs banques centrales, sous le prétexte que celles-ci sont des institutions indépendantes, au dessus des pratiques «immorales» des politiciens.
Par «politique» il faut comprendre les élections et la participation des peuples qui sont les premiers concernés par les décisions des politiciens et les actions «politiques» de ces banques. C'est comme cela que des intérêts absolument minoritaires dans la population dirigent l'économie mondiale et parviennent à obliger les grandes majorités à se soumettre à la dictature technocratique nommée Banques Centrales «indépendantes».
La mission de ces institutions est de transférer, sous les formes les plus diverses, des masses colossales de richesse au «marché» financier. Il s'agit d'une expropriation des ressources obtenues par les divers types de recettes fiscales qui sont transférées au système financier sous les prétextesles plus incroyables et les méthodes les plus inventives.
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Cependant, la présidente Dilma Rousseff dirigeait un pays à la grande réussite économique (et financière!) avec une croissance du PIB de plus de 7% par an, un puissant excédent commercial international, des réserves en augmentation, une capacité enviable à attirer les capitaux de l'extérieur, une augmentation de l'emploi et la réduction du chômage, un programme de dépense publique de haute qualité en dépit de toutes les critiques que l'on pouvait faire et finalement des
politiques sociales en passe d'être imitées par tout le monde. A ce moment le gouvernement de la présidente Dilma atteint plus de 60% d'avis favorables en 2012.
Comment est-il possible que la présidente Dilma ait accordé crédit aux «économistes» de la Banque Centrale et ait abandonné son programme extraordinairement couronné de succès?
Comment se peut-il qu'elle ait accepté les idées absurdes des directeurs de la Banque Centrale, réunis sous le nom de COPOM, et qu'elle ait commencé une politique récessive à partir de l'augmentation du taux d'intérêt avec le seul objectif de contenir une inflation, qui en réalité était relativement basse ?