LITTERATURE
« Je me refuse à admettre la fin de l’homme »
par Gabriel Garcia Marquez
Discours prononcé à la réception du Prix Nobel de Littérature 1982 par Gabriel Garcia Marquez, mort le 17 Avril 2014, après une vie de chefs d’oeuvre et de combats pour l’humanité. Il y retrace en quelques phrases toute l’absurdité, toute l’hypocrisie de ceux qui, en Amérique latine et partout, se sont crus les « propriétaires du monde »
Antonio Pigafetta, un navigateur florentin qui a accompagné Magellan lors du premier voyage autour du monde, a écrit lors de son passage par notre Amérique méridionale une chronique rigoureuse qui paraît cependant une aventure de l’imagination. Il a raconté qu’il avait vu des cochons avec le nombril dans le dos, et quelques oiseaux sans pattes dont les femelles couvaient dans les dos du mâle, et d’autres comme des pélicans sans langue dont les becs ressemblaient à une cuiller. Il a raconté qu’il avait vu une créature animale avec une tête et des oreilles de mule, un corps de chameau, des pattes de cerf et un hennissement de cheval. Il a raconté que le premier natif qu’ils ont trouvé en Patagonie ils l’ont mis en face d’un miroir, et que ce géant exalté a perdu l’usage de la raison par la frayeur de sa propre image.
Ce livre bref et fascinant, dans lequel se perçoivent déjà les germes de nos romans d’aujourd’hui, n’est pas beaucoup moins le témoignage le plus étonnant de notre réalité de ces temps. Les Chroniqueurs de l’Amérique nous ont légué d’autres irracontables. Eldorado, notre pays illusoire si convoité, a figuré dans de nombreuses cartes pendant de longues années, en changeant de lieu et de forme selon l’imagination des cartographes. A la recherche de la fontaine de la Jeunesse Éternelle, la mythique Alvar Núñez Cabeza de Vaca a exploré huit ans durant le nord du Mexique, dans une expédition folle dont les membres se sont mangés entre eux, et seuls cinq des 600 qui l’ont entreprise sont arrivés. L’un des nombreux mystères qui n’ont jamais été élucidés, est celui des onze mille mules chargées de cent livres d’or chacune, qui un jour sont sortis du Cuzco pour payer le sauvetage d’Atahualpa et qui ne sont jamais arrivées à destination. Plus tard, pendant la colonie, se vendaient à Carthagène, quelques poules élevées dans des terres d’alluvion, dans les gésiers desquelles se trouvaient des petits cailloux d’or. Ce délire doré de nos fondateurs nous a poursuivis jusqu’il y a peu. À peine au siècle passé la mission allemande chargée d’étudier la construction d’un chemin de fer interocéanique dans l’isthme du Panama, a conclu que le projet était viable à condition que les rails ne fussent pas faits en fer, qui était un métal peu abondant dans la région, mais qu’ils soient faits en or.
AMERIQUE LATINE
« Pour la première fois depuis 500 ans, des pays d'Amérique Latine ont fait des avancées très sérieuses vers l'intégration et l'indépendance vis à vis du pouvoir impérial étranger »
Noam Chomsky, intellectuel nord-américain
Interview au journal mexicain La Jornada du
22 Septembre 2014
En dépit du sombre panorama que présente la conjoncture actuelle, Chomsky note que quelques « rayons de lumière » porteurs d'espoir pour le monde proviennent des changements historiques en Amérique Latine
La Jornada : Vous continuez à mentionner les effets dévastateurs des politiques du gouvernement des Etats-Unis et du monde de l'entreprise, qui se traduisent en guerres et injustices sociales et économiques, et plus récemment vous avez averti que ceci atteignait un point tel que nous mettions en péril la survie même de la civilisation. Pour ceux qui observent les Etats-Unis et l'Amérique Latine en ce moment, quels sont les défis les plus fondamentaux auxquels ils sont confrontés aujourd'hui ? Où percevez-vous le potentiel le plus grand pour relever ces défis ?
Noam Chomsky : Les menaces sont bien réelles. La menace d'une destruction par la guerre nucléaire est toujours présente, et le dossier est effrayant. On peut en dire de même, peut-être même de manière plus proéminente, de la menace d'une catastrophe environnementale. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous sommes confrontés aux possibilités de détruire les conditions d'une survie décente et les systèmes au pouvoir nous conduisent à ce précipice
Cependant, il y a des signaux encourageants, en grande partie depuis l'Amérique Latine, où ce qui s'est passé ces dernières années a une signification véritablement historique. Pour la première fois depuis 500 ans, des pays d'Amérique Latine ont fait des avancées très sérieuses vers l'intégration et l'indépendance vis à vis du pouvoir impérial étranger (au siècle dernier, principalement les Etats-Unis)
Une étude récente des programmes de reddition extraordinaire de l'Agence Centrale d'Intelligence (CIA), une des formes les plus sauvages de torture, a démontré qu'une grande partie du monde, y compris l'Europe, y a collaboré, mais il y a eu une exception: l'Amérique Latine. Ceci est doublement remarquable: d'abord du fait de la subordination historique de la région à Washington, et ensuite, parce que durant cette période (de subordination), la région était un des centres de torture du monde..